Interview avec Dr Razack OSSENI, Pharmacien-Toxicologue et Enseignant chercheur : « Un traitement préventif du paludisme est à éviter car celui-ci masque souvent le paludisme et peut créer des résistances ».

Interview avec Dr Razack OSSENI, Pharmacien-Toxicologue et Enseignant chercheur : « Un traitement préventif du paludisme est à éviter car celui-ci masque souvent le paludisme et peut créer des résistances ».

Dans le cadre de la célébration de la 17ème édition de la Journée Mondiale de lutte contre le Paludisme (JMP), le Responsable du Laboratoire de la Clinique Centrale de Calavi, Dr Razack OSSENI nous a accordé une interview sur le diagnostic, le traitement et l’efficacité des antipaludiques. Dans cet entretien, le spécialiste nous apprend que les antipaludiques autorisés au Bénin sont nécessaires, efficaces et continuent de prouver leur efficacité et appelle les populations à un usage rationnel de ces médicaments afin de prévenir la pharmaco résistance.

EMLe paludisme, c’est quoi cette maladie?

Dr Razack OSSENI – Le paludisme ou malaria est l’une des trois maladies affectant plus le continent africain avec plus de 90% de la charge mondiale. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est une maladie parasitaire transmise par les moustiques du genre anophèle due à un agent pathogène qu’on appelle plasmodium dont l’espèce peut varier en fonction des zones de par le monde. Un moustique pique une personne malade et s’infecte à la suite du « repas de sang contaminé » puis il pique une personne saine et lui transmet l’agent pathogène ou pique une personne malade et la contamine à nouveau. L’espèce qui prédomine en Afrique subsaharienne est l’espèce falciparum. Il est responsable de la majorité des formes cliniques mortelles

EM – Quels sont les signes cliniques du paludisme ?

Dr Razack OSSENI – Il n’y a pas un signe type pour le paludisme. Toutefois, dans les zones à risque il faut surveiller la fièvre qui est vraiment comme un signe capital du paludisme. Mais aussi, certains signes comme les frissons, vomissements, maux de tête, douleurs musculaires articulaires, diarrhée, grande fatigue, anémie peuvent être associés à la fièvre et faire penser au Paludisme. Vu que d’autres pathologies peuvent aussi avoir ces mêmes signes, le seul moyen pour dire qu’on souffre vraiment du paludisme, c’est de le détecter dans le sang.

« Le seul moyen pour dire qu’on souffre vraiment du paludisme, c’est de le détecter dans le sang ».

EM – Alors comment se faire le diagnostic du Paludisme et qui peut le faire ?

Dr Razack OSSENI – Pour faire le diagnostic, il faut passer par un laboratoire pour faire une goutte épaisse ou frottis ou bien faire un test de diagnostic rapide le (TDR). Au Bénin actuellement le TDR peut se faire pratiquement partout. On peut même se l’acheter en pharmacie et dès qu’un membre de la famille présente les signes qu’on vient de citer, on peut piquer au bout du doigt et puis on teste à la maison pour pouvoir confirmer ou infirmer l’infection au paludisme. Lorsqu’il y a deux traits, ça veut dire que la personne est effectivement positive au paludisme et qu’il faudrait démarrer en même temps le traitement. C’est donc le seul moyen d’être sûr qu’on en train de traiter le paludisme dans les zones reculées. Sinon, il faut passer dans un centre de santé, se faire prélever pour la réalisation d’une goutte épaisse pour quantifier la densité parasitaire pour un traitement adéquat.

EM – Cela voudrait dire qu’on passe à côté lorsque que nous prenons directement des antipaludiques dès que nous ressentons ces symptômes qui font penser au paludisme ?

Dr Razack OSSENI – L’automédication est un comportement à éviter. Les signes peuvent varier d’une personne à une autre ou se ressembler pour des pathologies différentes. Ce qui fait qu’on peut passer à côté en présence de ces signes. Parfois, c’est quelqu’un d’autre ayant eu un des signes qui fait le diagnostic présomptif. Ce n’est pas un bon comportement. Il faudrait même en présence de ces signes, passer normalement à l’hôpital pour se faire prélever ou tout au moins faire un TDR qui ne coûte pratiquement rien et faire le diagnostic avant de démarrer le traitement.

« Le vaccin vient en renfort aux autres outils de lutte existants et pourra aider à accélérer l’élimination, d’ici à 2030, de ce fléau qui tue, en moyenne, un enfant de moins de 5 ans chaque minute ».

EM – Quels sont donc les médicaments ou combinaisons utilisés au Bénin pour traiter avec succès le paludisme?

Dr Razack OSSENI – Le traitement adéquat du paludisme dépend du type de paludisme et du type de patient (adulte, enfant, femme enceinte, etc.). On a deux forme de paludisme à savoir : le paludisme grave et l’accès palustre ou paludisme simple. Le paludisme grave se définit à partir de certains signes spécifiques appelés signes de gravités qui sont associés à une goutte épaisse positive ou si la densité des parasites est très élevée. Au contraire, lorsqu’on a une goute épaisse positive et qu’on n’a pas l’un des signes de gravité comme par exemple le vomissement ou les signes neurologiques qui sont des signes de gravité chez un enfant souffrant du paludisme on parlera du paludisme simple. Pour traiter le paludisme grave, l’OMS recommande les formes généralement injectables des dérivés de l’arthémisinine en particulier l’artésunate ou encore les dérivés de la quinine, le quinimax ou bien la quinine injectable. Ce traitement se fait généralement à l’hôpital. Par contre lorsqu’il s’agit d’un accès palustre ou palu simple, on va utiliser des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine qu’on appelle généralement CTA. Contrairement à tous les produits utilisés par la médecine traditionnelle dont on ne peut pas contrôler les doses administrées et surtout la composition, ces produits ont prouvé leur efficacité et continuent d’être efficaces pour le moment.

« Il est déconseillé de prendre un CTA alors que vous prenez au même moment le jus de pamplemousse »

EM – Dans quels cas doit-on craindre la pharmaco résistance ?

Dr Razack OSSENI – Un traitement anti parasitaire peut échouer lorsque le médicament est par exemple sous ou surdosé ou faux. On peut aussi avoir un échec thérapeutique lorsque le patient développe un effet indésirable suite à la prise du médicament et abandonne le traitement ou encore lorsqu’on prend l’antipaludique avec d’autres médicaments qui sont déconseillés. Il est par exemple déconseillé de prendre un CTA alors que vous prenez au même moment le jus de pamplemousse parce que vous pouvez avoir une interaction médicamenteuse entre les substances du jus et le CTA. Du coup on va enregistrer un échec thérapeutique.

EM – Alors doit-on craindre l’efficacité des antipaludiques lorsqu’on sait qu’un traitement peut échouer ?

Dr Razack OSSENI – Un échec thérapeutique n’a rien à avoir avec l’efficacité des antipaludiques adoptés pas le Bénin. Tous les antipaludiques autorisés au Bénin sont nécessaires et ont prouvé et continuent de prouver leur efficacité. C’est pour leur efficacité qu’on continue de les utiliser. Les dérivés de la quinine sont mal tolérés. Du coup, le pays mise beaucoup plus sur les dérivés de l’artémisinine. Nous devons donc prendre soins de ses molécules pour éviter les résistances plus tard.

« Les antipaludiques autorisés au Bénin sont nécessaires et ont prouvé et continuent de prouver leur efficacité »

EM – Quelles sont les précautions à prendre pour prévenir les cas de résistances aux antipaludiques ?

Dr Razack OSSENI – Les seuls médicaments utilisés pour combattre efficacement le paludisme sont les dérivés de l’arteminine et de la quinine. Donc il va falloir qu’on sache vraiment prendre soin de ces deux molécules et cette prise de soin doit être globale. Ce n’est pas une question du pharmacien ni du médecin et encore moins des autorités. C’est une prise de conscience globale. Tel qu’aujourd’hui on parle de non service des médicaments antibiotiques sans ordonnances si on ne prend pas soin de nos antipaludiques et du bon traitement du paludisme, nous risquons d’en arriver là aussi pour les antipaludiques à causes des problèmes de résistances aux antipaludiques. En fait, le parasite étant un être vivant, peut aussi développer des mécanismes pour s’auto défendre contre la molécule pour éviter d’être agresser par les molécules. Pour éviter ça, on doit prendre les antipaludiques de façon adéquates telles qu’on l’a déjà dit précédemment. Il ne faut pas utiliser les antipaludiques à tout bout de champ. Nous devons veiller à l’utilisation rationnelle des médicaments pour éviter les résistances.

« Nous devons veiller à l’utilisation rationnelle des médicaments pour éviter les résistances ».

EM – Comment peut-on éviter le paludisme ?

Dr Razack OSSENI – Pour combattre le paludisme, il faut prioriser la prévention et les bons gestes à adopter. La protection doit être adaptée à l’âge, à l’état (femme enceinte, ou allaitante ou malade), au lieu, à la durée à la résistance du plasmodium. Il faut : maintenir le cadre de vie propre ; dormir sous moustiquaire imprégnée à longue durée d’action ; mettre des grillages aux portes et fenêtres ; portez des vêtements longs ; vider et recouvrir les nids à moustiques tel que récipients, bassines pots de fleurs et autres. Dans les zones à risque, il faut surveiller la fièvre, maux de tête, vomissement, etc, et demander une goute épaisse pour une prise en charge rapide si le test se révélait positif. Le diagnostic précoce permet de sauver des vies et le traitement curatif doit être rapidement mis en place en cas de crise avérée. Par contre un traitement préventif est à éviter car celui-ci masque souvent le paludisme et peut créer des résistances. A ces outils de lutte s’ajoute l’introduction du vaccin contre le paludisme dans le programme élargi de la vaccination des enfants de 6 à 12 mois. Ce vaccin vient en renfort aux autres outils de lutte existants et pourra aider à accélérer l’élimination, d’ici à 2030, de ce fléau qui tue, en moyenne, un enfant de moins de 5 ans chaque minute.

Propos recueillis par Assiba Juliette

Assiba MITONHOUN

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